La shigellose est une infection aiguë du grêle due à Shigella spp, un germe Gram négatif. Les symptômes comprennent une fièvre, des nausées, des vomissements, un ténesme et une diarrhée qui est habituellement sanglante. Le diagnostic est clinique et confirmé par la coproculture. Le traitement de l'infection bénigne est symptomatique, surtout par la réhydratation; des antibiotiques (p. ex., ciprofloxacine, azithromycine, ceftriaxone) sont administrés aux patients modérément à gravement malades et à haut risque qui ont une diarrhée sanglante ou un déficit immunitaire; ils peuvent raccourcir la durée de la maladie et diminuer la contagiosité.
Le genre Shigella est présent dans le monde entier. C'est la cause typique de dysenterie inflammatoire, qui provoque 5 à 20% des maladies diarrhéiques dans de nombreuses régions (1).
Chaque année aux États-Unis, on observe environ 450 000 cas (5,7/100 000 personnes) de shigellose, entraînant 5400 hospitalisations et 38 décès. Les enfants de < 5 ans ont le taux le plus élevé d'infection (2). Dans le monde, Shigella cause environ 80 à 165 millions de cas et 600 000 décès par an, la plupart des cas et des décès chez l'enfant (1).
Shigella est divisé en 4 sous-groupes majeurs:
A (S. dysenteriae)
B (S. flexneri)
C (S. boydii)
D (S. sonnei)
Chaque sous-groupe est ensuite subdivisé en types déterminés sérologiquement. S. flexneri et S. sonnei sont plus répandus que S. boydii et les particulièrement virulents S. dysenteriae. S. sonnei est l'isolat le plus fréquent aux États-Unis (3).
L'origine de l'infection est constituée par les selles de patients infectés ou de porteurs convalescents; l'homme est le seul réservoir naturel de Shigella. La contagion directe se fait par voie orofécale. La contagion indirecte se fait par des aliments ou objets contaminés. Les mouches servent de vecteurs. La transmission sexuelle est également connue entre hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (4).
Shigella étant relativement résistant à l'acide gastrique, l'ingestion de 10 à 100 microrganismes seulement peut provoquer une maladie. Des épidémies se produisent fréquemment dans des zones surpeuplées où les conditions sanitaires sont médiocres. La shigellose est particulièrement fréquente chez les jeunes enfants dans les régions d'endémie. Les adultes ont habituellement moins de maladies graves.
Les convalescents et les porteurs asymptomatiques peuvent être d'importantes sources de dissémination de l'infection, mais les porteurs à long terme sont rares.
Un épisode de shigellose confère une immunité spécifique de sérotype pendant au moins plusieurs années. Mais les patients peuvent avoir d'autres épisodes de shigellose causés par d'autres sérotypes.
Shigella traverse la muqueuse de la partie terminale de l'intestin, entraînant une sécrétion de mucus, avec hyperhémie, infiltration leucocytaire, œdème et souvent des ulcérations muqueuses superficielles. Shigella dysenteriae de type 1 (fréquent aux États-Unis, excepté chez les voyageurs revenant de régions d'endémie) produit la toxine de Shiga qui provoque une diarrhée liquide conséquente et parfois un syndrome urémique hémolytique.
Références
1. Centers for Disease Control and Prevention: Shigellosis: CDC Yellow Book 2024. Consulté le 25/01/2024.
2. Centers for Disease Control and Prevention: About Shigella Infection. Consulté le 25/01/2024.
3. Shad AA, Shad WA. Shigella sonnei: virulence and antibiotic resistance. Arch Microbiol. 2021;203(1):45-58. doi:10.1007/s00203-020-02034-3
4. McNeil CJ, Kirkcaldy RD, Workowski K. Enteric Infections in Men Who Have Sex With Men. Clin Infect Dis. 2022;74(Suppl_2):S169-S178. doi:10.1093/cid/ciac061
Symptomatologie de la shigellose
La période d'incubation de Shigella est comprise entre 1 et 4 jours. La forme la plus fréquente, une diarrhée liquide, ne peut être différenciée des autres infections bactériennes, virales et protozoairiennes qui induisent une hypersécrétion des cellules épithéliales de l'intestin. Une fièvre peut être présente.
Chez l'adulte, les premiers symptômes de la shigellose peuvent être
Épisodes de douleur épigastrique sévère
Une envie constante de déféquer (ténesme)
Le passage des fèces formés qui soulage temporairement la douleur
Ces épisodes se renouvellent avec une intensité et une fréquence croissantes. La diarrhée s'accentue avec des selles molles ou liquides contenant du mucus, du pus et souvent du sang. Un ténesme sévère peut être à l'origine d'un prolapsus rectal avec incontinence fécale.
Cependant, chez l'adulte, il peut ne pas y avoir à la présentation de fièvre, la diarrhée peut n'être ni hémorragique ni glaireuse et le ténesme peut être très modéré ou absent.
Habituellement, chez l'adulte la maladie évolue spontanément vers la guérison en 4 à 8 jours dans les cas légers et en 3 à 6 semaines dans les cas graves. Les graves pertes hydro-électrolytiques avec collapsus circulatoire et décès affectent surtout les enfants de < 2 ans et les adultes immunodéficients.
Rarement, la shigellose démarre par des selles eau de riz ou séreuses (parfois sanglantes). Le patient peut vomir et se déshydrater rapidement. L'infection peut se manifester par un syndrome confusionnel, des convulsions et un coma, mais peu ou pas de diarrhée. La mort peut survenir en 12 à 24 heures.
Chez les jeunes enfants, le début est brutal, avec fièvre, irritabilité ou somnolence, anorexie, nausées ou vomissements, diarrhée, douleurs et distension abdominales, météorisme et ténesme. Dans les 3 jours qui suivent, du sang, du pus et du mucus apparaissent dans les selles. Le nombre de selles augmente en général rapidement jusqu'à ≥ 20/jour et la perte de poids et la déshydratation deviennent critiques. Si les enfants ne sont pas traités, ils peuvent décéder dans les 12 premiers jours. S'ils survivent, les symptômes aigus s'atténuent vers la 2e semaine.
Complications de la shigellose
Un syndrome hémolytique et urémique peut compliquer la shigellose due à S. dysenteriae type 1 chez l'enfant. Le syndrome hémolytique-urémique, s'il se produit, se développe environ 7 jours (mais jusqu'à 3 semaines) après les premiers symptômes de la shigellose, lorsque la diarrhée disparaît. Le syndrome hémolytique-urémique est indiqué par le développement d'une léthargie et une diminution de la diurèse.
Une bactériémie peut survenir, en particulier chez l'enfant de moins de 5 ans et chez l'adulte de plus de 65 ans présentant une maladie sous-jacente.
De graves ulcérations muqueuses peuvent entraîner une perte sanguine importante.
Cependant, les patients (en particulier porteurs du génotype HLA-[B27]) ont un risque d'arthrite réactionnelle (arthrite, conjonctivite, urétrite) après une shigellose (principalement à S. flexneri) (et d'autres entérites).
Les autres complications, convulsions chez l'enfant, myocardite et, rarement, perforation intestinale, sont peu fréquentes.
La dysenterie bacillaire n'est jamais chronique et n'est pas un facteur étiologique de rectocolite ulcéro-hémorragique.
Diagnostic de la shigellose
Coproculture
PCR (Polymerase chain reaction)
Le diagnostic de shigellose est facilité par une attention particulière pendant les périodes épidémiques et en régions d'endémies et par la présence de globules blancs fécaux sur les frottis colorés au bleu de méthylène ou par la coloration de Wright. Les cultures de selles font le diagnostic et doivent être effectuées; dans le cas de patients gravement malades ou à risque, des antibiogrammes sont effectués. Un test PCR utilisant des tests d'amplification des acides nucléiques hautement sensibles et spécifiques est également disponible (1).
En cas de symptômes de dysenterie (selles sanglantes et mucoïdes), le diagnostic différentiel doit comprendre les infections par E. coli entérohémorragique, Salmonella, Yersinia et Campylobacter; amibiase; et l'infection par Clostridioides difficile.
La surface de la muqueuse observée en rectoscopie est uniformément érythémateuse et parsemée de nombreuses petites ulcérations. Bien qu'une leucopénie ou une leucocytose marquées puissent être présentes, la numération des globules blancs est en moyenne de 13 000/mcL (13 × 109/L). L'hémoconcentration est fréquente, ainsi que l'acidose métabolique due à la diarrhée.
Référence pour le diagnostic
1. Beal SG, Tremblay EE, Toffel S, Velez L, Rand KH. A Gastrointestinal PCR Panel Improves Clinical Management and Lowers Health Care Costs. J Clin Microbiol. 2017;56(1):e01457-17. Publié le 26 décembre 2017. doi:10.1128/JCM.01457-17
Traitement de la shigellose
Soins de support
Chez les patients gravement malades ou à risque, une fluoroquinolone, azithromycine ou une céphalosporine de 3e génération
La perte liquidienne due à une shigellose est traitée symptomatiquement par réhydratation orale ou IV.
Les antidiarrhéiques (p. ex., le lopéramide) peuvent prolonger la maladie et ne doivent pas être utilisés.
Les antibiotiques peuvent réduire les symptômes et la dissémination de Shigella, mais ne sont pas utiles en cas de maladie modérée chez l'adulte en bonne santé. Cependant, certains patients, dont les catégories suivantes, doivent habituellement être traités:
Enfants
Personnes âgées
Patients immunodéprimés
Patients qui présentent une maladie sévère à modérée
Chez l'adulte, les antibiotiques suivants peuvent être utilisés:
Une fluoroquinolone orale (telle que la ciprofloxacine)
Azithromycine orale
Ceftriaxone IV
Chez l'enfant, les antibiotiques suivants peuvent être utilisés:
Ceftriaxone IV
Azithromycine orale
De nombreuses souches de Shigella sont susceptibles d'être résistantes à l'ampicilline, triméthoprime/sulfaméthoxazole (TMP/SMX), et aux tétracyclines, mais les profils de résistance dépendent de la région géographique. Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) ont rapporté une augmentation des shigelloses extrêmement résistante aux médicaments (extensively drug-resistant, XDR) aux États-Unis, limitant ainsi les options antimicrobiennes, en particulier chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes, les personnes infectée par le VIH, les voyageurs internationaux, et les personnes sans abri. Le plus grand pourcentage de cas impliquait S. sonnei et S. flexneri (1). Le traitement de la shigellose XDR nécessite souvent un carbapénème, mais doit généralement être dirigé par une consultation d'un spécialiste des maladies infectieuses.
Référence pour le traitement
1. Centers for Disease Control and Prevention (CDC): Increase in Extensively Drug-Resistant Shigellosis in the United States, February 24, 2023.
Prévention de la shigellose
Les mains doivent être soigneusement lavées avant de manipuler les aliments. Les vêtements et la literie souillés doivent être immergés dans des seaux fermés contenant du savon, de l'eau et un désinfectant jusqu'à ce qu'ils puissent être lavés à l'eau chaude. Des techniques d'isolement appropriées (en particulier l'isolement des selles) doivent être utilisées chez les patients et les porteurs.
Des vaccins vivants sont en cours de développement et les essais en zone d'endémie semblent donner des résultats positifs (1). Cependant, l'immunité est généralement spécifique de type, il est donc probable que le vaccin devra être polyvalent ou contenir un antigène commun à plusieurs sérotypes.
Référence pour la prévention
1. MacLennan CA, Grow S, Ma LF, Steele AD. The Shigella Vaccines Pipeline. Vaccines (Basel). 2022;10(9):1376. Publié le 24 aout 2022. doi:10.3390/vaccines10091376
Points clés
Shigella spp est une cause hautement contagieuse de dysenterie; l'homme est le seul réservoir.
Une diarrhée aqueuse peut être accompagnée de douleurs abdominales et de besoin impérieux de déféquer; les selles peuvent contenir du mucus, du pus et souvent du sang.
S. dysenteriae de type 1 (rare aux États-Unis, sauf parmi les personnes qui reviennent d'un voyage) produit une Shiga toxine, qui peut provoquer un syndrome urémique et hémolytique.
Les graves pertes hydro-électrolytiques avec collapsus circulatoire et décès affectent surtout les enfants de < 2 ans et les adultes immunodéficients.
Les soins de support sont habituellement appropriés, mais il faut administrer des antibiotiques (une fluoroquinolone, de l'azithromycine, de la ceftriaxone) aux jeunes enfants et aux patients âgés ou gravement malades ou immunodéprimés; la résistance à l'ampicilline, au triméthoprime/sulfaméthoxazole (TMP/SMX) et aux tétracyclines est fréquente.