Le trouble de dépersonnalisation/déréalisation est une forme de trouble dissociatif qui consiste en une expérience prolongée ou récurrente de détachement (dissociation) de son propre corps ou de son fonctionnement mental, habituellement avec l'impression d'être devenu un observateur extérieur de sa propre existence (dépersonnalisation), ou d'être détaché de son environnement (déréalisation). Le trouble est souvent déclenché par un stress sévère. Le diagnostic repose sur des symptômes spécifiques après que les autres causes possibles aient été écartées. Le traitement consiste en une psychothérapie ainsi qu'un traitement médicamenteux en cas de dépression comorbide et/ou d'anxiété.
(Voir aussi Revue générale des troubles dissociatifs.)
Environ 50% de la population générale a vécu au moins une expérience de dépersonnalisation ou de déréalisation transitoire au cours de leur vie. Cependant, seulement 2% des personnes répondent aux critères de trouble de dépersonnalisation/déréalisation.
La dépersonnalisation ou déréalisation est également un symptôme de nombreux autres troubles psychiatriques et somatiques tels que les troubles convulsifs (ictaux et post-ictaux). Lorsque la dépersonnalisation ou déréalisation se manifeste indépendamment d'un autre trouble mental ou physique et qu'elle est persistante ou récidivante et qu'elle compromet le fonctionnement, on parle de trouble de dépersonnalisation/déréalisation.
Le trouble de dépersonnalisation/déréalisation a la même fréquence chez les hommes et chez les femmes. L'âge moyen du début est de 16 ans. Ce trouble peut commencer au début ou au milieu de l'enfance; seuls 5% des cas commencent après 25 ans et le trouble débute rarement après 40 ans (1).
Références générales
1. Simeon D, Knutelska M, Nelson D, et al: Feeling unreal: A depersonalization disorder update of 117 cases. J Clin Psychiatry 64:990-997, 2003. doi: 10.4088/jcp.v64n0903
Étiologie du trouble de dépersonnalisation/déréalisation
Les patients atteints de troubles de la dépersonnalisation/déréalisation ont souvent subi un stress sévère, tel que:
Etre abusé émotionnellement ou négligé pendant l'enfance (une cause particulièrement fréquente)
Être maltraité physiquement
Etre témoin de violence domestique
Avoir un parent gravement handicapé ou malade mental
Avoir un membre de la famille ou un ami intime mourir de façon inattendue
Les épisodes peuvent être déclenchés par un stress interpersonnel, financier ou professionnel; la dépression; l'anxiété; ou l'utilisation de drogues illicites, en particulier la marijuana, la kétamine ou les hallucinogènes.
Symptomatologie du trouble de dépersonnalisation/déréalisation
Les symptômes de dépersonnalisation trouble/de déréalisation sont généralement épisodiques et augmentent et décroissent en intensité. Ces épisodes peuvent durer seulement quelques heures à quelques jours ou des semaines, des mois ou parfois des années. Mais chez certains patients les symptômes sont constamment présents et ont la même intensité pendant des années, voire des décennies.
Les symptômes de dépersonnalisation comprennent
Le fait de se sentir détaché de son corps, de son esprit, de ses sentiments et/ou de ses sensations
Les patients se ressentent comme un observateur extérieur de leur propre vie. De nombreux patients disent également qu'ils ont un sentiment d'irréalité (déréalisation) ou d'être un robot (ne pas avoir de contrôle sur ce qu'ils font ou disent). Ils peuvent se sentir émotionnellement et physiquement engourdis ou se sentir détachés, avec peu d'émotion. Certains patients ne peuvent pas reconnaître ou décrire leurs émotions (alexithymie). Ils se sentent souvent déconnectés de leurs souvenirs et sont incapables de se rappeler clairement des choses.
Les symptômes de déréalisation comprennent
Une impression d'être détachés de leur environnement (p. ex., des gens, des objets, tout), qui semble irréel
Les patients peuvent se sentir comme dans un rêve ou un brouillard ou comme si un mur de verre ou un voile les séparait de leur environnement. Le monde semble sans vie, incolore ou artificiel. Une distorsion subjective du monde est fréquente. Par exemple, les objets peuvent apparaître flous ou inhabituellement clairs; ils peuvent sembler plats ou plus petits ou plus grands que ce qu'ils sont. Les sons peuvent sembler plus ou moins forts que ce qu'ils sont; le temps peut sembler passer trop lentement ou trop rapidement.
Les symptômes sont presque toujours pénibles et, dans les cas graves, particulièrement intolérables. L'anxiété et la dépression sont fréquentes. Certains patients craignent de présenter des lésions cérébrales irréversibles ou de devenir psychotiques. D'autres sont obsédés par le fait de savoir si ces lésions existent vraiment ou vérifient constamment si leurs perceptions sont réelles. Cependant, le patient sait toujours que son vécu «d'irréalité» n'est pas réel mais représente ce qu'il ressent (c'est-à-dire, qu'ils ont des tests de réalité intacts). Cette prise de conscience des troubles de dépersonnalisation/déréalisation les différencie d'un trouble psychotique, dans lequel une telle perspicacité est toujours absente.
Diagnostic du trouble de dépersonnalisation/déréalisation
Critères du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th edition, Text Revision (DSM-5-TR)
Examen médical et psychiatrique pour exclure d'autres causes
Le diagnostic du trouble de dépersonnalisation/déréalisation est clinique, et basé sur la présence des critères suivants dans Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition (DSM-5-TR):
Les patients présentent des épisodes persistants ou récurrents de dépersonnalisation, de déréalisation, ou les deux.
Les patients savent que leurs expériences dissociatives ne sont pas réelles (c'est-à-dire, qu'ils ont un sens intact de la réalité).
Les symptômes provoquent une détresse importante ou compromettent de façon significative le fonctionnement social ou professionnel.
En outre, les symptômes ne peuvent pas être mieux expliqués par un autre trouble médical ou psychiatrique (p. ex., convulsions, abus de substances, trouble panique, trouble dépressif majeur, un autre trouble dissociatif).
Une IRM et un EEG (électroencéphalographie) sont effectués pour éliminer les causes structurales, en particulier si les symptômes ou la progression est atypique (p. ex., si les symptômes ont commencé après l'âge de 40 ans). Des tests toxicologiques urinaires peuvent également être indiqués.
Les tests psychologiques et les entretiens et des questionnaires structurés spéciaux, tels que Multidimensional Inventory of Dissociation (1), sont utiles.
Référence pour le diagnostic
1. Simeon D, Knutelska M: The Multidimensional Inventory of Dissociation (MID) in Depersonalization Disorder: General Findings with a clinical emphasis on memory and identity disturbances. J Trauma Dissociation 24:185-196, 2023. doi: 10.1080/15299732.2022.2119634
Traitement du troubles de dépersonnalisation/déréalisation
Psychothérapie
Le traitement du trouble de dépersonnalisation/déréalisation doit rechercher tous les facteurs de stress en relation avec l'apparition du trouble, ainsi que les facteurs de stress antérieurs (p. ex., maltraitances ou négligences subies pendant l'enfance) qui prédisposent à la dépersonnalisation et/ou à la déréalisation.
Diverses psychothérapies sont efficaces chez certains patients:
Les approches cognitives permettent de bloquer la pensée compulsive concernant le vécu d'irréalité.
Les techniques comportementales peuvent aider le patient à s'engager dans des tâches qui le détournent de la dépersonnalisation et de la déréalisation.
Des techniques de prise de conscience de l'ici et maintenant utilisent les 5 sens (p. ex., en jouant de la musique forte ou en plaçant un morceau de glace dans la main) pour aider les patients à se sentir plus liés à eux-mêmes et au monde.
Le traitement psychodynamique aide le patient à gérer ses pensées négatives, ses conflits sous-jacents ou ses expériences qui rendent certains affects intolérables pour le moi et sont ainsi dissociés.
Le suivi et la nomination de l'affect et de la dissociation à chaque instant lors des séances de traitement sont efficaces chez certains patients.
Divers médicaments ont été utilisés, mais aucun n'a une efficacité clairement démontrée. Certains patients peuvent tirer profit d'inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, de la lamotrigine, d'antagonistes des opiacés, d'anxiolytiques ou de stimulants. Cependant, ces médicaments fonctionnent largement en ciblant d'autres troubles psychiatriques (p. ex., anxiété, dépression) souvent associés à ou déclenchés par la dépersonnalisation et la déréalisation.
Pronostic du trouble de dépersonnalisation/déréalisation
Les patients présentant un trouble de dépersonnalisation/déréalisation s'améliorent souvent sans intervention thérapeutique. Une guérison complète est possible pour beaucoup de patients, en particulier ceux dont les symptômes se manifestent en rapport avec un stress décelable, qui peut être géré par le traitement, et ceux dont les symptômes ne se prolongent pas. Chez d'autres, la dépersonnalisation et la déréalisation deviennent plus chroniques et réfractaires.
Une dépersonnalisation ou une déréalisation persistante ou récidivante, peut cependant entraîner un handicap minime si les patients parviennent à supprimer le sentiment de dépersonnalisation en se concentrant sur d'autres pensées ou activités. Certains patients deviennent handicapés par un sentiment chronique d'étrangeté ou par l'anxiété et/ou la dépression qui l'accompagne.