Les agents neurotoxiques sont des agents de guerre chimique qui agissent directement au niveau des synapses nerveuses, augmentant généralement l'activité de l'acétylcholine.
D'autres agents chimiques ont été utilisés au combat avant la Seconde Guerre mondiale et sont parfois appelés agents chimiques de première génération. Les agents chimiques de la génération suivante comprennent 3 types d'agents neurotoxiques:
Agents de la série G (2e génération)
Agents de la série V (3e génération)
Agents de la série A (4e génération)
Des agents de la série G, ou agents G comprennent le GA (tabun), le GB (sarin), le GD (soman), et le GF (cyclosarin), qui ont été développés par l'Allemagne nazie avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. À température ambiante, ce sont des liquides aqueux à forte volatilité qui présentent des risques par contact avec la peau et par inhalation.
Les agents de la série V comprennent le VX; ces composés ont été synthétisés après la Seconde guerre mondiale. Ce sont des liquides persistants qui ont la consistance d'une huile à moteur. Ils s'évaporent très lentement et le principal danger est le contact avec le liquide. Ils sont également beaucoup plus puissants que les agents de la série G.
Les agents de la série A sont des agents neurotoxiques développés par l'Union soviétique à partir des années 1970. Ils sont également appelés agents Novichok et les composés représentatifs sont A-230, A-232 et A-234, qui sont des liquides qui sont encore plus persistants que les agents de la série V et sont tout aussi puissants. Un agent de la série A a été utilisé lors d'une tentative d'assassinat en 2018 au Royaume-Uni, et un autre agent de la série A a été utilisé dans la tentative d'assassinat de 2020 contre le militant russe Alexei Navalny.
Aucun de ces agents n'a une odeur prononcée, ou provoque une irritation locale de la peau. Tous les agents neurotoxiques organophosphorés sont des esters, comme le sont les pesticides organophosphorés. Cependant, les agents neurotoxiques sont beaucoup plus puissants; la LD50 (la quantité nécessaire pour causer la mort de la moitié des sujets recevant cette dose) du VX est d'environ 3 mg.
Physiopathologie des lésions nerveuses dues à la guerre chimique
Les agents nervins inhibent l'enzyme acétylcholinestérase (AChE), qui hydrolyse l'acétylcholine, un neurotransmetteur (ACh) une fois que l'ACh a terminé d'activer les récepteurs situés dans les neurones, les muscles et les glandes. L'inhibition de l'AChE induit un excès d'ACh au niveau de tous ses récepteurs (crise cholinergique) provoquant d'abord une activité accrue du tissu affecté, finalement suivie dans le système nerveux central et dans le muscle squelettique par une fatigue et une défaillance du tissu. Les agents neurotoxiques inhibent les récepteurs muscariniques et nicotiniques de l'ACh. Les récepteurs muscariniques de l'ACh sont présents dans le système nerveux central, les ganglions végétatifs, les fibres musculaires lisses et les glandes exocrines; les récepteurs nicotiniques de l'ACh sont présents dans le muscle squelettique.
La liaison de l'agent nervin à l'AChE est pratiquement irréversible sans traitement; le traitement par une oxime peut régénérer l'enzyme pour autant que la liaison n'ait pas été encore stabilisée (un processus appelé vieillissement) au fil du temps. La plupart des agents neurotoxiques, comme les insecticides organophosphorés, prennent des heures pour "vieillir" complètement, mais le GD (soman) peut "vieillir" pratiquement complètement dans les 10 min qui suivent la liaison.
Symptomatologie des lésions nerveuses dues à la guerre chimique
Les manifestations cliniques dépendent de l'état de l'agent, de la voie d'exposition et de la dose.
L'exposition du visage aux vapeurs provoque des effets locaux tels que myosis, rhinorrhée, et bronchoconstriction en quelques secondes, évoluant vers toute la gamme des manifestations systémiques de l'excès cholinergique.
Cependant, la vapeur inhalée provoque un collapsus en quelques secondes.
L'exposition de la peau au liquide provoque d'abord des effets locaux (spasmes musculaires locaux, fasciculations, transpiration). Les effets systémiques se produisent après une période de latence qui peut aller jusqu'à 18 heures après l'exposition à une très petite gouttelette d'un agent nerveux de la série G ou V; même des doses mortelles prennent habituellement jusqu'à 20 à 30 minutes pour provoquer une symptomatologie, qui peut comprendre un collapsus soudain et des convulsions sans avertissement. L'exposition cutanée à un agent liquide de la série A a une période de latence allant de quelques heures à un jour ou deux.
Les patients présentent une partie ou la totalité du toxidrome cholinergique ou une crise cholinergique (voir tableaux Syndrome toxique fréquent et Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques). La surstimulation et la fatigue du système nerveux central qui en résultent induisent une agitation, des confusions, des pertes de connaissance et des convulsions, évoluant vers un arrêt du fonctionnement du centre respiratoire dans le bulbe rachidien. La surstimulation et finalement la fatigue des muscles squelettiques entraînent des contractions et des fasciculations qui évoluent vers une faiblesse et une paralysie. La surstimulation du muscle lisse activé cholinergiquement induit un myosis, un bronchospasme, et un hyperpéristaltisme (avec des nausées, des vomissements et des crampes), et une surstimulation des glandes exocrines qui provoque un larmoiement excessif, des sécrétions nasales, une salivation, des sécrétions bronchiques, des sécrétions digestives et une transpiration. La mort est généralement due à une apnée centrale, mais la paralysie directe du diaphragme, le bronchospasme, et la bronchorrhée peuvent également être des facteurs contributifs.
Des effets neurologiques et neurocomportementaux à long terme peuvent également se produire et comprendre un syndrome qui a été appelé trouble neuropsychiatrique chronique induit par les organophosphorés et neuropathie chronique induite par les organophosphorés.
Diagnostic des lésions nerveuses dues à la guerre chimique
Bilan clinique
Le diagnostic est clinique, bien que le dosage des taux de cholinestérase plasmatique ou érythrocytaire ainsi que des examens plus spécialisés puissent confirmer l'exposition à un agent neurotoxique.
Triage
Tous les sujets qui ont un liquide suspect sur leur peau doivent en priorité subir une décontamination immédiate de la zone touchée. Les patients peuvent être répartis en vue d'un traitement médical en fonction de leur symptomatologie. Tous les patients exposés à des agents neurotoxiques qui ont des difficultés importantes pour respirer ou des effets systémiques doivent être triés comme nécessitant un traitement médical immédiat.
Traitement des lésions nerveuses dues à la guerre chimique
Anticholinergiques (p. ex., atropine)
Oxime réactivateurs (p. ex., 2-PAM, MMB-4)
Benzodiazépines
Assistance respiratoire si nécessaire
Il est primordial de porter attention aux sujets suivants Airway (voies respiratoires), Breathing (respiration), Circulation immédiate Decontamination, and Drugs (médicaments) (les ABCDDs). La bronchoconstriction peut être si grave que la ventilation peut être impossible jusqu'à ce que l'atropine soit administrée (voir tableau Symptomatologie et traitement de toxiques spécifiques). Les Airway, Breathing, (voies respiratoires et respiration) et Circulation (ABCs) sont traités dans Réanimation cardiorespiratoire chez l'adulte.
Décontamination
Décontaminer tout le liquide suspect sur la peau dès que possible en utilisant la lotion réactive de décontamination cutanée (Reactive Skin Decontamination Lotion, RSDL®); une solution d'hypochlorite à 0,5% peut également être utilisée, comme peuvent l'être l'eau et le savon. Les blessures pouvant être contaminées nécessitent une inspection, l'ablation de tous les débris et un rinçage abondant à l'eau ou au sérum physiologique. Des symptômes graves et la mort peuvent survenir après la décontamination de la peau, car la décontamination peut ne pas supprimer complètement les agents neurotoxiques qui passent à travers la peau.
Traitement médicamenteux
Aux États-Unis, deux médicaments sont administrés:
Atropine
La 2-pyridine aldoxime chlorure de méthyle (2-PAM, également appelé pralidoxime).
L'atropine bloque l'action de l'acétylcholine (ACh) sur les récepteurs muscariniques. Le pralidoxime (2-PAM) réactive l'acétylcholinestérase (AChE) qui a été phosphorylée par des agents neurotoxiques (ou des insecticides organophosphorés), mais qui n'a pas encore subi de vieillissement. L'atropine n'agissant que sur les récepteurs muscariniques de l'ACh, le 2-PAM est également nécessaire pour inverser les effets sur les muscles squelettiques (p. ex., fasciculations, faiblesse et paralysie des muscles respiratoires). Le 1,1′-methylenebis[4-[(hydroxyimino)methyl]-pyridinium] dibromide, ou MMB-4, semble être plus efficace contre un plus large éventail d'agents neurotoxiques que le 2-PAM et remplacera le 2-PAM dans les moyens de l'armée américaine dans les années à venir.
Pour les soins militaires, préhospitaliers et des victimes de masse, les auto-injecteurs pour utilisation intramusculaire sont généralement utilisés; chacun contient 2,1 mg d'atropine et 600 mg de 2-PAM. Les médicaments sont administrés dans un grand muscle (p. ex., de la cuisse) avant d'établir un accès IV. Une fois l'accès IV obtenu, les doses ultérieures sont administrées IV.
Les patients adultes qui ont des difficultés respiratoires importantes ou qui ont des effets systémiques doivent recevoir rapidement 3 doses de 2,0 mg (si intraveineuse) ou de 2,1 mg (si un auto-injecteur est utilisé) et 3 doses de 600 mg de 2-PAM suivies immédiatement par une benzodiazépine. Le midazolam a remplacé le diazépam en tant qu'agent préféré parce que le midazolam est mieux absorbé lorsqu'il est administré par voie intramusculaire, mais l'un ou l'autre peuvent être utilisés en fonction de la disponibilité. Tous deux sont administrés à des doses de 10 mg pour traiter l'intoxication par agents neurotoxiques. Le nouvel auto-injecteur de midazolam de 10 mg va finalement remplacer l'auto-injecteur de diazépam pour traiter les convulsions.
Les patients présentant une symptomatologie moins sévère peuvent recevoir par un auto-injecteur une association (atropine et 2-PAM) répétée 3 à 5 min plus tard, si les symptômes n'ont pas disparu; une benzodiazépine n'est pas automatiquement administrée à moins que 3 auto-injecteurs doivent être administrés en une seule fois. D'autres doses additionnelles de 2 mg d'atropine sont administrées toutes les 2 à 3 min jusqu'à ce que les effets muscariniques (résistance des voies respiratoires, sécrétions) disparaissent. Des doses de 600 mg supplémentaires de 2-PAM peuvent être administrées toutes les heures selon les besoins pour contrôler des effets sur le muscle squelettique (tics, fasciculations, faiblesse, paralysie). Des benzodiazépines supplémentaires sont utilisées contre les convulsions selon les besoins. Noter que les patients paralysés peuvent avoir des convulsions non visibles. La transition vers l'administration IV doit être effectuée à la première occasion. Les dosages sont ajustés à la baisse chez les enfants.
Les agents de la série A sont difficiles à traiter une fois que les victimes sont entrées en crise cholinergique; un traitement agressif par l'atropine et une oxime est nécessaire ainsi qu'avec la scopolamine 1 mg IV. Pendant la période de latence, les victimes doivent être décontaminées de manière complète dès que possible, bien que la décontamination, en particulier avec du RSDL®(Reactive Skin Decontamination Lotion), puisse être efficace même une heure ou deux après l'exposition. La fréquence cardiaque, la température centrale et les taux d'acétylcholinestérase (AChE) doivent être surveillés.
Prévention des lésions nerveuses dues à la guerre chimique
Si l'exposition à un agent neurotoxique est possible, un prétraitement par du bromure de pyridostigmine 30 mg par voie orale toutes les 8 heures doit être envisagé. Ce composé est un carbamate anticholinestérase réversible. La pyridostigmine se combinant de manière réversible à l'acétylcholinestérase, elle protège l'enzyme de l'inhibition par l'agent nerveux qui est pratiquement irréversible; une fois la liaison réversible rompue, la cholinestérase libérée peut alors hydrolyser l'excès d'acétylcholine présent dans les organes cibles.
La pyridostigmine était à l'origine destinée à une exposition potentielle à l'agent nerveux soman à action rapide, mais elle est à présent autorisée en tant que prétraitement de tous les agents nerveux des séries G, V et A. Ainsi, il pourrait également être logique d'utiliser la pyridostigmine pendant la longue période de latence après une exposition suspectée à des agents de la série A. Cependant, la pyridostigmine étant également un inhibiteur de l'acétylcholinestérase, elle ne doit pas être administrée après le début de la crise cholinergique ou si la fréquence cardiaque ou la température centrale diminuent de > 25% par rapport à la valeur de base pendant la période de latence; ces patients doivent être traités comme ayant une crise cholinergique.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas la politique officielle du Department of Army, Department of Defense, ou du gouvernement des États-Unis.